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Marie Sellier
Présidente de la SGDL

Bonjour à tous, et merci d’être venus si nombreux, et parfois de loin, ici, à l’hôtel de Massa, pour participer, par vos réflexions, votre écoute et vos questions, à ce onzième forum de la Société des Gens de Lettres.
 
Depuis 2004 en effet, la SGDL, qui, comme vous le savez, est aux avant-postes de la défense du droit d’auteur et du droit des auteurs, organise à l’automne ce grand débat public, devenu un rendez-vous professionnel incontournable, sur un sujet d’actualité pour les auteurs comme pour les différents acteurs de la chaine du livre.
 
Lorsque nous avons commencé, cet été, à réfléchir à la thématique du forum de cette année, celle-ci s’est d’emblée imposée. Il fallait bien entendu parler de l’Europe et du livre. L’année 2015 a en effet été dominée par la question de la nécessité ou non de réformer le  droit d’auteur à l’échelon européen. En 2014 déjà une vaste consultation publique avait mobilisé nos énergies. Puis le rapport commandé à l’eurodéputé Julia Reda par Jean-Claude Juncker, le président de la commission européenne, avait suscité de vives réactions qui s’étaient matérialisées par un nombre record d’amendements, 556 pour être précis, avant que celui-ci ne soit voté, le 16 juin dernier.
 
Qu’est-ce que se trame exactement à Bruxelles ? Dans quel but faudrait-il réformer aujourd’hui le droit d’auteur ? Et en quoi serait-il un frein à la circulation des œuvres, comme on le lit ou l’entend fréquemment ? N’existe-t-il pas actuellement d’autres verrous à la diffusion ? Des verrous économiques, technologiques, fiscaux, par exemple ? Ne faudrait-il pas plutôt chercher du côté des monopoles, des formats propriétaires, et accessoirement s‘attaquer à la fraude fiscale pour fluidifier les flux. A-t-on seulement réfléchi, lorsqu’on songe à se passer du droit d’auteur, à la façon dont seraient rémunérés les créateurs? A-t-on pensé à qui profiterait le changement (j’allais dire le crime) ?

En ce qui me concerne, je suis désolée de cette manie que l’on a d’opposer les auteurs aux lecteurs, tant il me semble que leurs intérêts – nos intérêts, puisque qu’avant d’être présidente de la SGDL, je suis auteur -  sont solidaires, imbriqués, pour ne pas dire confondus. Tout auteur n’est-il pas avant tout un lecteur ? Et combien d’auteurs potentiels ou à venir se trouvent parmi nos lecteurs ? Sans auteurs, pas de lecteurs, mais sans lecteurs, quelle audience pour les auteurs ?

Je comprends que le lecteur de base soit tenté par le « tout gratuit ». Qui ne le serait pas ? Mais il n’est pas difficile de lui faire valoir que la gratuité n’existe pas dans ce domaine et qu’il y a nécessairement des bénéficiaires qui sont en premier lieu les plates-formes de diffusion et les fournisseurs d’accès. N’y a-t-il pas un rôle pédagogique à exercer dans ce domaine, et n’est-ce pas le rôle de l’Europe, d’expliquer la nécessité de rémunérer les auteurs pour avoir une création libre et de qualité, plutôt que de maintenir le consommateur dans l’illusion d’un droit à la culture gratuite ? Ce sont ceux-là mêmes qui vendent des gadgets électroniques toujours plus perfectionnés et chers qui répandent ces idées pernicieuses. Comme si l’achat d’un support toujours plus performant, léger, design, permettait de facto, en quelque sorte par automatisme, l’accès à la culture. L’idée est tellement répandue que, dans un autre domaine, celui de l’éducation, l’on prétend aujourd’hui lutter contre l’illettrisme par la distribution de tablettes numériques. Il y a là une confusion savamment entretenue par des acteurs économiques aussi puissants que malins.   

Nous avons vraiment la sensation qu’on se trompe de cible, et qu’il faudrait peut-être davantage regarder du côté des « tuyaux », ces grands opérateurs à qui les « flux » profitent véritablement, plutôt qu’aux auteurs de « contenus », c’est-à-dire nous, les auteurs. Et ce n’est pas de gaieté de cœur, croyez-moi, que j’emploie cette terminologie qui relève plus de la plomberie que de la littérature.

Nous avons été nombreux à rédiger des tribunes expliquant la réalité de nos métiers, insistant sur la nécessité d’une juste rémunération pour garantir la qualité et l’indépendance de la création. Le temps est révolu où il fallait être rentier pour pouvoir se consacrer à son art et il n’est souhaitable pour personne, et en premier lieu pas pour le lecteur, que la création soit sous le joug de financeurs quels qu’ils soient. Les auteurs assument aujourd’hui, beaucoup mieux qu’hier, leur dimension économique, ils entendent pouvoir bénéficier des fruits de leur travail, et c’est tant mieux.
 
Vue de France, l’Europe est oxymore pour de nombreux auteurs, à la fois proche géographiquement et très lointaine, familière (parce qu’on en parle beaucoup) et pourtant absolument mystérieuse, utile, sans doute, mais à quoi au juste ? Pour beaucoup, il faut bien le dire, c’est une sorte de vaisseau spatial « hypertechnocratisé » sur orbite là-haut – le geste accompagnant la parole. Mais qu’est-ce qui s’y passe en vérité? On se le demande.  Et à quoi ça sert ?

C’est pour répondre à ces légitimes questions et lever le voile sur des mécanismes complexes et souvent mal compris que nous avons demandé à André Lucas, éminent professeur de droit à l’université de Nantes, spécialiste reconnu de la propriété intellectuelle, de venir nous éclairer sur les arcanes des institutions européennes et sur la vision que l’on peut avoir du droit d’auteur lorsqu’on se trouve à Bruxelles.

Mais auparavant, Jean-Noël Tronc, le directeur général de la SACEM, nous aura dévoilé la stratégie de « France créative », et donné un aperçu des panoramas 2015 de la place de l’économie de la culture en France,  qui seront présentée au premier ministre le 4 novembre prochain.

Suivra une table ronde sur l’avenir du droit d’auteur en Europe, qui réunira Maria Martin-Prat, qui gère l’unité droits d’auteur à la Commission européenne, Virginie Rozière, député européenne qui est l’origine d’un grand nombre des amendements déposés sur le rapport Reda, Olav Stokkmo, directeur général de l’IFFRO, la fédération internationale des sociétés de droits de reproduction, qui est l’interlocuteur privilégié du parlement européen et de la commission pour les sociétés de gestion du secteur du livre du monde entier, et notre ami Hervé Rony directeur de la SCAM, qui parlera au nom du Conseil Permanent des Ecrivains dont il est le vice-président en charge des questions européennes. Cette table ronde sera animée par Cécile Barbière.

La réflexion se poursuivra après  le déjeuner avec une seconde table ronde sur le prêt numérique du livre en bibliothèque, un sujet qui préoccupe de nombreux auteurs, et sur lequel la visibilité est encore quelque peu brouillée en France. Anne Bergman-Tahon, directrice de la Fédération des Editeurs Européens, viendra partager avec nous son excellente connaissance des solutions déjà mises en œuvre dans plusieurs pays européens ; participeront également à cette table ronde Alain Absire, écrivain, ancien président de la SGDL, aujourd’hui président de SOFIA, Vincent Bonnet, directeur de l’EBLIDA, le bureau européen des associations de bibliothèques, Séverine Dusollier dont les recherches portent sur les biens communs, le domaine public, les exceptions au droit d’auteur et la protection du DA sur Internet, et Geoffroy Pelletier, notre directeur général. La modération sera assurée par Jean-Sylvestre Bergé, professeur de droit à l’université Jean Moulin de Lyon.

La Ministre de la culture, Fleur Pellerin, devait clore cette première partie qu’on pourrait qualifier de technico-juridique, mais un déplacement de dernière minute en Grèce avec le président de la République l’a contrainte à annuler son engagement. Elle sera représentée par Martin Ajdari, directeur général des médias et des industries culturelles (DGMIC) au ministère de la culture.

Il sera alors temps de donner la parole à quelques-uns de ces fameux « contenus » ou plutôt « fournisseurs de contenus » si tant est qu’on puisse appeler ainsi les prestigieux écrivains européens qui ont répondu favorablement à notre invitation. Erri de Luca est le premier d’entre eux. Un Erri de Luca libre puisque le tribunal de Turin a prononcé sa relaxe, lundi dernier, dans le procès qui l’opposait à Lyon-Turin Ferroviaire pour incitation au sabotage – symbolique - de la ligne Lyon-Turin. Il nous parlera du sentiment de justice.

Nos autres invités viennent des quatre points cardinaux de l’Europe : de l’Ouest pour Robert Mc Liam Wilson, écrivain irlandais dont nous avons aimé Les Dépossédés ; du Nord, pour un jeune auteur islandais (oui, l’Europe du livre déborde les frontières administratives), Erikur Örn Norddahl, qui vient de publier Ilska, un premier roman très remarqué ; de l’Est, pour le Grec Yannis Kiourtsakis, auteur du formidable Dicôlon ; et du Sud,  pour Lidia Jorge, grande voix de la littérature lusophone, originaire de l’Algarve ; Tous les quatre nous livreront leur vision de l’Europe, sous la houlette de Sylvian Bourmeau qui modèrera cette incursion en terre littéraire européenne.

Je me réjouis de ce temps de parole donné aux écrivains, ici à Massa, dans la maison des auteurs et de la littérature, eux qui s’expriment peu sur les questions européennes et dont il est pourtant essentiel d’entendre ce qu’ils ont à nous dire sur le sujet.

Et nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin. La parole des auteurs, sur la question du droit d’auteur européen, sera encore portée par Valentine Goby, romancière et présidente du Conseil Permanent des Ecrivains conjointement avec Simone di Conza, poète italien, membre de la FUIS. Ils liront à deux voix une lettre ouverte des écrivains européens aux autorités européennes, déjà traduite en anglais, italien, portugais, danois, islandais, norvégien (merci à Cécile Deniard dont l’efficacité a encore une fois fait notre admiration), lettre  à laquelle ont déjà adhéré plusieurs organisations d’auteurs en Europe, et qui nous l’espérons sera signée par de très nombreux auteurs d’Est en Ouest, du Nord au Sud de l’Europe.

C’est une mobilisation de grande envergure, une première, et je vous invite d’ores et déjà à signer cette lettre manifeste à l’issue de sa lecture. Car l’Europe doit se faire avec les créateurs, et non contre eux, car ceux-ci, quoique essentiels, restent par nature le maillon le plus faible de la chaîne et ont besoin de la bienveillance et de la compréhension des autorités européennes pour pouvoir continuer à exercer leur métier en toute indépendance.

Il y a encore beaucoup à faire pour garantir aux créateurs un plus juste partage de la valeur, et favoriser une plus grande transparence des comptes. Il y a beaucoup à faire pour nous aider à combattre le piratage de nos œuvres.
 
Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais remercier la SOFIA sans le soutien de laquelle ce forum n’aurait pas pu avoir cette ampleur, Mona de Pracontal et Maura Pollin qui vont toute la journée assurer la traduction simultanée de nos échanges et bien sûr Cristina Campodonico et Evelyn Prawidlo qui n’ont pas ménagé leur peine pour monter cet événement de A à Z avec le professionnalisme et l’enthousiasme que nous leur connaissons.


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