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Né à Varsovie, Charles Dobzynski vit en France depuis plus de soixante dix ans. Après des études interrompues par la guerre et la clandestinité, il écrit ses premiers poèmes dès 1944 remarqués par Paul Éluard qui les publie dans les Lettres Françaises. Aragon et Elsa Triolet seront les préfaciers de ses premiers recueils de poèmes. Journaliste, critique de poésie et de cinéma, traducteur, poète, Charles Dobzynski est chroniqueur aux Lettres françaises de 1954 à 1972 et contribue à la revue Action poétique. Membre de la rédaction de la revue Europe depuis les années 1970, collaborateur permanent, il en est aujourd’hui le directeur de publication. En 1987, il dirige l’Anthologie de la poésie yiddish, le miroir d’un peuple rééditée en 2000 dans la collection poésie /Gallimard. Il reçoit la Bourse Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre en 2005. Il est Chevalier des Arts et des Lettres, membre de l’Académie Mallarmé et président du prix Guillaume Apollinaire.

Derniers titres parus en poésie : À revoir, la mémoire, avec des collages de Ladislas Kijno, EPHI, 2006 ; Lanzarote, rêverie autour des volcans, La Porte, 2009 ; J’ai failli la perdre, La Différence, coll. Clepsydre, 2010 ; Je est un juif, roman, Orizons, 2011.

Derniers romans parus : La Comédie des échecs, roman, Publibook, 2010 ; Le bal des baleines et autres fictions, nouvelles, Orizons, 2011 ; Solène et le Cyborg, roman, Publibook, 2011.

 On s’en souvient, Les Lettres Françaises publièrent, en 1949, les premiers poèmes d’un jeune poète, né en 1929 à Varsovie, présentés par Paul Eluard : c’étaient ceux de Charles Dobzynski qui allait devenir au fil des années l’auteur considérable couronné par la SGDL.

Il y a quarante ans déjà, ce poète et critique au talent reconnu devenait rédacteur en chef de la revue Europe où il continue de publier une chronique mensuelle de poésie qui lui a permis de mettre en valeur celles et ceux qui sont aujourd’hui devenus les grandes voix de la poésie contemporaine auxquelles il vient de consacrer un très bel essai intitulé Un four à brûler le réel. Certes, l’œuvre de Charles Dobzynski a déjà été couronnée ces dernières années par deux prix prestigieux, le Max-Jacob et le Goncourt de la poésie, mais il nous revenait à notre tour de reconnaître l’importance, la qualité et le foisonnement de cette œuvre dont l’auteur ne cesse de nous surprendre en publiant coup sur coup, ces derniers temps, poèmes, essais, romans et nouvelles.

Dans La mort, à vif, c’est d’abord un journal de bord de la mort que Charles Dobzynski, poète sensible et de haute exigence donne à entendre avec âpreté. Ecoutons le :

« Je suis la besogneuse                                             «  Mort je suis une diaspora

la minutieuse,                                ou encore :              juive en cela

abeille qui mue le pollen                                               munie d’une contrefaçon

en cire noire de l’absence »                                          d’étoile

                                                                                                       qui est un trou dans mon thorax

                                                                 dans ma Torah »

C’est aussi un cri de révolte et de dénonciation contre la tartufferie politicienne des « oraisons dissolvantes » et des « hommages chloroformants » que lance ce poète généreux et fraternel qui a toujours porté l’âme à gauche, quand il nous dit avoir « déterré le soldat inconnu », l’avoir « sorti de sa réclusion / de son exclusion de la pensée » et l’avoir « délivré de son sarcophage / de songes meurtriers […] d’une utopie de gloire / asphyxié par les glaires de la mémoire ».

La mort, à vif c’est aussi le rappel poignant et la mémoire vive de La chambre à gaz – Kaddish qui emporta tous ces morts pour qui le poète élève sa voix. C’est la Tragédie sans divinité, de cet enfer (je cite le poète) « asile où la mort échoua / Pour effacer l’humain quoiqu’il fasse et qu’il vaille / Cet enfer qu’en hébreu Dante on nomme Shoah. » C’est aussi l’adresse au Christ errant du poète (je le cite à nouveau) qui a « décloué le Christ de sa légende et de son ossature immémoriale » […] et a « pris sa main d’ombre et de vent » et l’a « conduit pas à pas dans les quartiers de la révolte et du refus, [..] dans les lieux où l’on meurt de faim, […] dans les camps où les réfugiés s’amoncellent », et lui a dit : « ceci est mon corps

ceci est mon temps / c’est à toi de les prendre en charge, / toi qui fus juif exempté de leur sort. »

La mort, à vif c’est enfin le passage du cavalier qui galope dans la nuit du poète « sur la piste des souvenirs ensablés / sautant les lunes renversées / les continents à la dérive / Il est adoubé par l’oubli / et le cheval de son périple / est celui d’une apocalypse / nourrie par une éclipse de soleil

Cavalier blanc contre cavalier noir

sur l’échiquier de mon histoire

échec et mat échec et mythe

quand l’être pèse son savoir

et ses limites

au trébuchet de l’illusoire.

 

Cavalier de ce qui commence

tu chevauches ce qui se perd

ta fin dernière est l’origine

tu détruis ce que j’imagine

et brouille en moi tous les repères. »

 

Et le poète, in fine, dans son humanité nue et bouleversante ne demande rien que l’impossible,

« que tout près de mon corps endormi celle que j’aime soit le rempart d’une autre vie, qu’elle creuse autour de moi les douves réflexives de la pluie et de la tendresse, que sa parole continue, de lèvre en lèvre, d’être une échelle vers le toujours plus haut, toujours plus vrai, que m’entourent ses bras comme un ressac de l’océan entoure une île au loin perdue. »

L’amour et la tendresse de l’aimée seules vérités du poète qui face à la mort qui vient  « ne demande rien que cette miette d’infini qui n’a cessé de nourrir mes années de disette, mes années de désert, afin de m’insuffler cette force de t’affronter. »

Ce recueil, on le voit, n’est autre que le somptueux requiem d’un grand poète d’aujourd’hui.

Sylvestre Clancier

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