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Goby Fanny DionNée en 1974, Valentine Goby publie depuis quinze ans pour les adultes et pour la jeunesse. En 2014, elle reçoit le Prix des Libraires pour Kinderzimmer, paru chez Actes Sud. Passionnée par l’histoire et par la transmission, la mémoire est son terrain d’exploration littéraire essentiel.

 

Un paquebot dans les arbres, c’est d’abord une merveilleuse apparition : Mathilde, une jeune enfant en short jaune, garçon manqué, tellement vibrante, qui pour épater son père brave tous les dangers. Elle traverse la Seine à la nage, grimpe sur le toit d’un château, dérape sur le verglas du fleuve gelé. On voudrait lui dire : Attention !!! Car, rien n’y fait, le père, Paulot, n’a d’yeux que pour sa fille aînée, la belle et gracieuse Annie. Nous sommes dans les années 1950, Paulot tient, avec sa femme Odile, un café de La Roche-Guyon et règne en seigneur sur son quartier. Au Balto, on danse des nuits entières, on chante, les repas sont arrosés, il fait bon vivre. Et c’est à cet instant, au moment où l’on se met à adorer Paulot, comme Mathilde, que Valentine Goby fait basculer le récit. L’histoire de famille devient soudain histoire sociale et nous captive absolument. On y découvre que pendant ces Trente Glorieuses idéalisées aujourd’hui, la Sécurité sociale n’est pas encore étendue à tous. Alors, quand Paulot et Odile apprennent qu’ils sont atteints de tuberculose, ce n’est pas seulement un problème de santé, c’est un désastre, « l’effroi de la ruine », la dislocation de la famille : les parents partent au sanatorium, Mathilde et Jacques sont placés en famille d’accueil. On y découvre aussi, et c’est simplement bouleversant, le sanatorium d’Aincourt, ce paquebot dans les arbres, sublime et gigantesque bâtiment au style Le Corbusier planté au milieu d’une forêt des Vosges reconstituée en Seine-et-Oise, « pièce clé de l’arsenal antituberculeux des années 1930 », qui nous dit à la fois la peur panique de la peste blanche et l’énergie féroce des hommes qui ont conçu ces lieux étranges « remparts vis-à-vis du monde sain, poumons de substitution ». Des phrases courtes, denses, une tonalité grave et digne, sans pathos, une langue riche d’un franc-parler populaire et chaleureux, restituent avec justesse l’atmosphère de ce bistrot et de cette famille des années 1950. Par des mots simples et colorés, une force de vie coule entre les lignes, on voit se débattre les personnages, Odile, Paulot, Mathilde, ils sont là, tout près, dans une humanité crue, terriblement attachante.

Emmanuelle Heidsieck

SGDL 22/05/2017

Photo © Fanny Dion

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