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Appel à candidatures : résidence d’écriture à Edenkoben (Allemagne) / Août 2024

Une résidence d'un mois (août 2024) au Centre artistique d’Edenkoben en Rhénanie-Palatinat (Allemagne).   Lire la suite

Appel à candidatures: résidence d’auteurs RÉCIT’CHAZELLES

La résidence d’auteurs RÉCIT’CHAZELLES lance son APPEL À CANDIDATURES. La date limite d'inscription est fixée au 30 MARS 2024. Lire la suite

Appel à candidatures: résidences à la Villa Kujoyama en 2025

En 2025, la Villa Kujoyama accueillera environ quinze lauréats et lauréates pour des résidences de 4 à 6 mois. Les lauréats et lauréates sont appelés à nouer des relations de travail avec les milieux professionnels, universitaires, artistiques et culturels de Kyoto, de la région du Kansai et de l’ensemble de l’archipel. Les candidatures peuvent être déposées par un candidat solo, en binôme, ou en duo franco-japonais. Cette année, le processus de sélection est également ouvert aux duos et binômes Arts et Sciences.   Lire la suite

Lancement du site Lecture-Justice

La Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill), en partenariat avec le ministère de la Culture et le ministère de la Justice, lance le site Internet Lecture-Justice afin d’accompagner le déploiement de projets livre et lecture auprès des personnes placées sous main de justice.   Lire la suite

Claro
Ecrivain, traducteur

Vous connaissez peut-être cette phrase de Swift : « Les éléphants sont généralement dessinés plus petits que nature, mais une puce toujours plus grande. » Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’intuition que cette phrase répond parfaitement à la question posée aujourd’hui : que vaut un auteur ? Hélas la SGDL m’a promis 600 € nets en échange d’un texte de dix mille signes, et il aurait été malhonnête de m’en sortir avec une citation ne valant, d’après mes calculs, que cinq euros quatre-vingt-quatorze. Adieu, donc, pesant éléphant sous-évalué, et toi aussi, petite puce surestimée. Il me reste environ neuf mille cinq cent trente-trois signes pour justifier ma plus-value…

La valeur d’un homme, de ses actes, qui fut naguère, du temps de la chevalerie en tout cas, une vertu en soi, indispensable et sans cesse remise en cause, désigne aujourd’hui tout autre chose. J’aimerais pouvoir dire que la valeur d’un auteur est indexée à l’audace de son travail, mais les poules ont perdu leurs dents depuis longtemps, et nous nos illusions avec. Aussi serait-il plus juste d’avancer que la valeur d’un auteur est déterminée par son IPM – son indice de pénétration médiatique. En gros, la règle serait la suivante : plus un auteur vend, plus il est connu, plus il a de chances qu’on le sollicite et ce, moyennant finances. Fort heureusement, cette règle n’est pas respectée et les écrivains qui vendent peu sont aussi sollicités que ceux qui vendent, sinon plus. L’écrivain qui vend peu a un gros avantage sur l’écrivain qui vend beaucoup : il est nettement plus disponible et nettement moins regardant. Son statut précaire lui rend appréciables les avantages en espèces et en nature. Sa parole raréfiée s’acclimate assez aisément des tribunes éphémères. Étant relativement méconnu, il trouve plaisant de multiplier les occasions de le faire savoir. Il a de l’énergie à revendre.

Très cher auteur, avant de discuter de ta valeur réelle ou fantasmatique, reconnais au moins une chose : tu n’es pas à cent pour cent un laissépour- compte. Tu n’es pas le grand déshérité des temps modernes. Tu peux être très mauvais écrivain et gagner beaucoup d’argent sans trop te fouler.  Tu peux être excellent écrivain et presque t’en sortir. Comment se fait-ce ? Eh bien, c’est assez simple : entre les festivals du vin et du livre, mais surtout du vin, les rencontres en librairie où tu signes trois livres aux amis du libraire, les prises d’otage en médiathèque qui te permettent de boire de la camomille, les interventions à l’université où tu es le seul à apprendre quelque chose, les cafés littéraires où tu ne bois jamais de café, les résidences perdues dans la campagne où tu peux enfin penser tranquillement au suicide, les bourses que tu vas devoir déclarer aux impôts, les textes que te commandent les revues en échange d’un exemplaire de ladite revue, les à-valoir que te versent les éditeurs et que tu leur dois très vite, les stylos promotionnels qu’on t’offre quand ton Mac vient de planter, et aussi tous ces prix littéraires qui te permettent un jour de te voir qualifié de nouveau Joyce par un présentateur télé, on peut dire je crois que l’écrivain moderne du xxie siècle est plus que jamais courtisé, sollicité, honoré, entretenu.

Bref, s’il est assez malin, s’il sait se renseigner, établir les bons contacts, l’écrivain moderne s’apercevra qu’il lui est possible de survivre.

Nous ne vivons pas dans un état totalitaire, même si l’ambiance est parfois un tantinet réactionnaire sur les bords. Du coup, l’écrivain peut accepter une aide de l’État ou des collectivités sans avoir l’impression d’être un apparatchik à plume. On peut demander une bourse d’écriture sans avoir l’impression de se compromettre, ou d’être un parasite.

Vous connaissez tous l’expression « se consacrer entièrement à l’écriture ». On la trouve même de temps à autre au dos des livres, sans qu’on sache s’il s’agit d’une promesse ou d’une menace. Cette expression ne veut pas dire que la personne en question écrit du matin au soir. Là encore une petite précision : ce n’est pas parce qu’un écrivain sera soutenu et assisté financièrement qu’il écrira plus ou mieux. Il ne s’agit pas d’écrire plus ou mieux. La littérature n’est pas du côté de la quantité, encore moins du mélioratif. L’écriture est l’expérience joyeuse de l’échec. On rate sa page, donc on la recommence, jusqu’à ce qu’on la rate différemment. Si la valeur d’une page est d’une grande complexité, la valeur de l’auteur, elle, se résume souvent à un malentendu habilement négocié.

On parle souvent de « confort », on entend la phrase « pouvoir écrire dans des conditions confortables », etc. ; comme si l’écriture présupposait le confort, ce qui, ma foi, est une belle aberration. Écrire c’est déranger : se déranger soi-même, déranger les autres. C’est être littéralement en dérangement, en état, voire en devoir de déranger. Une zone d’inconfort : telle est la région occupée par l’écriture.

Pendant deux jours, nous allons discuter rémunérations, droits annexes, droits dérivés, dangers de l’autoédition, revenus indirects, bref, nous allons débattre moins de la valeur d’un auteur que des conditions de garantie de ladite valeur. Comment renforcer certains acquis, comment les défendre, dans quel cadre, etc. Mais quelles que soient les différentes modalités d’aide aux auteurs, le principe directeur est le même : prendre au sérieux la création, défendre une certaine littérature, établir des ponts avec le lectorat. Bien sûr, il va de soi que même sans aide les écrivains continueront d’écrire. Là réside sans doute la véritable valeur de l’auteur : il écrit par nécessité, il écrit contre, il écrit malgré. En un certain sens, ce sont les éditeurs qui décident de la valeur de l’auteur, ce sont eux qui l’évaluent, mais sans doute est-ce à l’auteur lui-même qu’échoit le rôle de ne pas laisser cette valeur se vider de son sens.

Ici, je crois qu’une fable s’impose. Je vous la propose pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle vaut, pour ce qu’elle pourra, peut-être, sans trop recourir à l’imagination, devenir si vous la laissez proliférer assez longtemps en vous. Comme vous le savez, dans les années 1820, deux hommes ont mis au point un procédé capable de reproduire durablement, sur un support, les choses vues. L’un s’appelait Niepce et l’autre Daguerre, et comme c’est toujours le nom du plus entreprenant qui s’impose et demeure, ils appelèrent ces images des daguerréotypes.

Qu’allaient-ils faire de leur invention ? En hommes du dix-neuvième siècle naissant, ils envisagèrent d’en déposer le brevet, mais comprirent assez vite que la chose n’était pas possible, car leur procédé – qui se satisfaisait de fort peu de matériaux : quelques grammes de sels argentiques, une plaque de verre, un boîtier en bois, un obturateur, etc. – leur procédé était si simple en vérité qu’on ne pouvait légalement en revendiquer la paternité. Ils décidèrent donc d’en offrir et dévoiler le secret à l’Académie des sciences, et ce en échange d’une rente modeste, mais régulière. Ainsi en fut-il décidé. À une date donnée, donc, le procédé photographique fut donc révélé à une assemblée de savants. Les savants réunis écoutèrent le récit technique de cette invention jusqu’ici sans égale. Des journalistes scientifiques assistaient à l’exposé. Ils s’éclipsèrent bien vite et s’égaillèrent dans les rues de la capitale afin de répandre la nouvelle, l’incroyable nouvelle : l’homme pouvait enfin mettre l’univers entier dans une plaque de verre ! On s’en doute, la rumeur se propagea à une vitesse ahurissante. Des hordes de Parisiens débrouillards se ruèrent dans les quelques boutiques possédant les éléments requis pour fabriquer une chambre noire portative et les produits chimiques idoines. En moins de deux heures, ces boutiques furent dévalisées. La rumeur continuait d’enfler, l’enthousiasme était à son comble. Nos apprentis photographes, du moins les plus experts, les plus rapides, fabriquèrent en un rien de temps de quoi fixer sur le verre, à condition que rien ne bouge, tout ce qui voudrait bien se laisser absorber par l’oeil aveugle de l’objectif.

Hélas, toutes ces choses avaient pris du temps, la journée avançait, les heures passaient, et quand les centaines de Parisiens assez malins pour se confectionner un appareil furent prêts, le soir tombait, changeant la lumière en plomb et les ombres en lacs. On n’y voyait plus assez pour retenir la moindre particule lumineuse. Aucune bougie ne pouvait inverser le cours naturel du jour. On décida donc de monter sur les toits de Paris afin d’attendre que la nuit laisse la place au jour.

Il faut imaginer la scène, mais peut-être s’imagine-t-elle toute seule. Des centaines de silhouettes obscures, posées sur les toits de Paris tels des corbeaux épuisés, certaines s’assoupissant sans doute, d’autres conversant jusque tard dans la nuit, occupées par des pensées de plus en plus rêveuses. Enfin les premières lueurs apparaissent. Une cicatrice rose suinte entre les bâtiments qu’il faudra bien un jour détruire. Du mauve s’y mêle, comme très bientôt le sang. Une éclosion d’or, des nuages qui s’effilent, mille et une formes qui prennent relief, consistance. Qui sera le premier à prendre le premier daguerréotype ? Les esprits, encore tassés par l’attente et tels des ressorts à vif, semblent eux aussi éprouver les symptômes de l’aube. Peut-être l’un d’entre eux crie-t-il quelque chose. Un autre désigne ce qu’il suppose être le dos mouvant du soleil, à peine extirpé de la Seine. Ils se lèvent, s’étirent, plantent leurs trépieds bancals. Le silence revient un instant, comme un orage que tous guettaient. C’est un moment unique dans l’histoire des hommes. Le moment où chacun pourra, enfin, pour la première fois, faire le point et fixer tout ce qu’il veut ou presque. Même si rien, bien sûr, ne saurait égaler l’attente qui fut celle de ces hommes et de ces femmes munis d’une boîte dans laquelle la nuit tardait à s’évanouir. Ce moment passé sur les toits, au coeur de la nuit, ce moment qui dut paraître à la fois interminable et d’une insultante brièveté, je vous propose d’y voir une métaphore de la valeur de l’auteur. Savoir tour à tour s’enflammer, se démener, renoncer, attendre, guetter, cesser presque d’exister, mais au sein d’une vigilance discrète, d’une vigilance têtue. Donner au silence une valeur susceptible d’être partagée, afin que la parole à venir ne soit pas simplement du bruit.

Merci.

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