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Appel à candidatures : résidence d’écriture à Edenkoben (Allemagne) / Août 2024

Une résidence d'un mois (août 2024) au Centre artistique d’Edenkoben en Rhénanie-Palatinat (Allemagne).   Lire la suite

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Appel à candidatures: résidences à la Villa Kujoyama en 2025

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Lancement du site Lecture-Justice

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Table ronde
Modérateur
Jean-Sylvestre Bergé, professeur de droit, Université Jean Moulin - Lyon

Avec
Alain Absire, président de la SOFIA (Société française des intérêts des auteurs de l'écrit),
Vincent Bonnet, directeur de l'EBLIDA (Bureau européen des associations de bibliothèques),
Séverine Dusollier, professeur à Sciences Po Paris
Geoffroy Pelletier, directeur général de la SGDL


♦ Jean-Sylvestre Bergé
Nous débutons nos travaux de cette après-midi par une intervention d’Anne Bergman-Tahon, directrice de la Fédération des Éditeurs Européens, qui va nous présenter une approche comparée des pratiques relatives au prêt numérique du livre en bibliothèque.

Livres numériques et bibliothèques, l'Europe en mouvement par
Anne Bergman-Tahon
Directrice de la FEE (Fédération des Éditeurs Européens)

On m’a demandé de vous faire un tour d’Europe des différentes solutions qui sont apportées pour permettre aux bibliothèques de prêter des livres numériques. Ma présentation se voudrait exhaustive mais elle ne saurait l’être pour la simple raison que, tous les jours, de nouveaux dispositifs sont mis en place.
Je parlerai ici principalement de l’offre des bibliothèques publiques, qui est similaire à celle que l’on peut trouver au sein de la librairie.
Deux remarques préalables.
Tout d’abord, le prêt de livres papier a été formalisé en droit européen en 1992 et, à l’époque, le législateur a voulu qu’au moins les auteurs puissent recevoir une rémunération pour cette activité qui consiste en un prêt d’objets – je pense que le mot « objet » a son importance –, leur mise à disposition pour l’usage et pour un temps limité. Vingt-quatre ans après, le Portugal, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie refusent toujours de compenser les auteurs pour le prêt de leurs livres en bibliothèque. Je voulais aussi mettre en exergue le fait qu’un grand pays comme l’Espagne compense les auteurs à hauteur de 100 000 euros pour l’entièreté du territoire espagnol puisque tel est le montant que collecte la société d’édition collective espagnole.
Ma deuxième remarque a trait au développement de la lecture numérique en Europe : à l’exception du Royaume-Uni, la croissance du livre numérique y est relativement modeste. Dans de nombreux pays, la pénétration du livre numérique représente un pour cent du total des livres que l’on peut acheter en librairie généraliste, la situation étant évidemment différente dans l’édition scientifique. Les livres numériques représentent 6 % du marché en Allemagne mais seulement entre 1 et 2 % en Estonie, alors qu’il s’agit d’un des pays les plus numériques d’Europe.
Comment cela fonctionne-t-il ?

Dès que les éditeurs, en nombre suffisant, publient simultanément des livres en version imprimée et en version numérique, des systèmes que je vais maintenant vous présenter sont mis en place.
En Allemagne et en Autriche – partageant une langue commune, les deux pays partagent le même dispositif –, le système Divibib est géré par une entreprise privée. Il est fondé sur les deux systèmes que l’on retrouvera dans la quasi-totalité des modèles : soit un livre acheté (ou un livre pour lequel la bibliothèque a une licence) = un livre prêté, soit plusieurs accès simultanés mais avec l’obligation de renouveler la licence au bout d’un certain temps.
Autre caractéristique, commune à la plupart des systèmes : la majorité des ouvrages est en format e-pub, c’est-à-dire le format standardisé encouragé par le secteur de l’édition, au contraire des standards d’Amazon ou d’Apple, qui sont fermés et qui vont donc à l’encontre de la façon dont on estime que cela doit fonctionner.
Divibib permet un usage bibliothèque par bibliothèque mais les bibliothèques doivent ensuite se mettre en réseau. Il existe aussi en Allemagne un système de streaming extrêmement répandu, Skoobe, qui concurrence Divibib.
Comme dans tous les domaines, à l’exception de l’équipe nationale de football, la Belgique a deux systèmes, le francophone, basé sur PNB, dont nous reparlerons, et le néerlandophone : De BiB.
Ce dernier prend la forme d’une carte de cinq euros, que l’on achète en bibliothèque et qui donne la possibilité, sous Apple store ou sous Android, à trois emprunts de livres numériques pendant quatre semaines. Ce système est toujours en période de test – d’ailleurs presque toutes les solutions dont je vous parle, connaissent des ajustements au fur et à mesure.

Le Danemark est probablement le pays où le prêt numérique a le plus de maturité. C’est là qu’il a véritablement débuté en Europe. On y trouve trois systèmes très différents. Ereolen.dk a été le premier. Les bibliothèques achètent à un prix très faible – environ cinq euros par ouvrage – mais paient à chaque prêt. Elles peuvent ainsi prêter autant de fois qu’elles le veulent et de manière simultanée. Le système a été mis en place après de longues discussions avec les auteurs, les éditeurs et les bibliothécaires. Il a rencontré immédiatement un succès tel que les budgets numériques des bibliothèques ont explosé. Très vite, un certain nombre d’éditeurs et – récemment – d’auteurs à succès ont choisi de sortir du système.
L’autre système, ebog.dk, repose sur le versement de 10 % du prix d’achat à chaque prêt. Cela peut sembler beaucoup, mais n’oublions pas que les bibliothèques contribuent à hauteur de 20 % du prix d’achat pour le livre papier. En outre, elles peuvent ici moduler les prêts pour ne pas exploser leur plafond d’utilisations.
Ebib.dk est un système plus récent, qui propose un streaming et dans lequel les bibliothèques achètent les livres au prix de la librairie.
De nombreuses discussions sont en cours au Danemark et l’on verra comment la situation évoluera dans les mois à venir.
L’Espagne, pays d’Europe où le taux de piraterie est le plus élevé, a néanmoins réussi à développer des systèmes de prêt en bibliothèque.
Le projet Libranda a été lancé par les sept principaux éditeurs auxquels se sont joints 140 autres. Le téléchargement en streaming se fait selon un système d’étagères : au lieu d’acheter un ouvrage, il faut en acheter un certain nombre, avec des best-sellers mais aussi des ouvrages à moindre diffusion. Cela permet d’élargir l’offre numérique, les éditeurs proposant plus de livres aux bibliothèques.
Le problème tient au fait que la rémunération est très faible.
Opérateur privé, OdiloTK est une plateforme de téléchargement en streaming, pendant 21 jours. XeBook permet de travailler avec les éditeurs mais aussi directement avec Amazon et Google, selon des modalités que je ne connais pas.
Il y a fort peu d’édition numérique en Estonie, où ce marché représente entre 1 et 2 % du total. Il existe toutefois une bibliothèque en ligne, ELLU, qui fonctionne uniquement en streaming et qui est gérée par la bibliothèque centrale de Tallinn. Les bibliothèques achètent le droit de prêter 20 copies, chacune pendant 21 jours, puis elles doivent renouveler la licence.

En Finlande, il y a maintenant une solution nationale. Au départ, elle proposait un livre = un prêt puis elle s’est élargie jusqu’à soit 100 copies pour une licence, soit 20 copies simultanées mais sans limite. Il s’agit d’une licence d’un an, renouvelable. Ce qui est également intéressant, comme dans un certain nombre de ces systèmes, c’est que l’on peut lire quelques chapitres avant d’emprunter le livre et de rémunérer le prêt.
Je pense que nous reviendrons sur la France et le système PNB (Prêt Numérique en Bibliothèques). Comme tous les programmes que je passe rapidement en revue, PNB opte pour le streaming ou le téléchargement sous diverses formes : copie en ligne, prêt unique ou plusieurs prêts simultanés.
En Italie, on trouve deux opérateurs : Casalini, librairie qui s’ouvre à l’offre de prêt en ligne, et, le plus important, Media Library Online, qui a lancé une offre modulée entre accès simultanés et un livre = un prêt, mais pour 14 jours et uniquement en téléchargement.
La Norvège est un cas exceptionnel sur lequel je souhaite m’arrêter un instant. Contrairement à tous les autres pays d’Europe, où la part des achats des collectivités ne dépasse pas 5 % du chiffre d’affaires de l’édition, en Norvège, elle atteint 50 %. Cela tient au fait qu’il s’agit d’un pays riche mais aussi extrêmement soucieux de préserver sa langue et son identité culturelle. La décision a ainsi été prise pour chaque bibliothèque d’acheter deux exemplaires de chaque ouvrage de qualité – ce critère étant déterminé par une commission – publié par un auteur norvégien.

Pourtant, le système repose sur le principe un achat = une licence pour un livre = un prêt. Cela se fait au prix de la librairie, la Norvège étant, au sein des pays nordiques, extrêmement attachée au prix fixe du livre. C’est en effet une politique menée depuis des années et renforcée à chaque législature. Le dispositif existe peut-être dans d’autres pays mais il est ici plus moderne : lorsque vous avez réservé un livre et qu’il est disponible, vous en êtes averti par SMS.
Les Pays-Bas ont quant à eux décidé de séparer leur production éditoriale en trois segments : la tête, qui correspond aux ouvrages publiés depuis moins d’un an ; les épaules formées des ouvrages d’un à trois ans ; la queue, constituée du reste de la production éditoriale. Seules à l’heure actuelle les épaules et la queue sont accessibles au prêt numérique.

Il est intéressant de noter que c’est la bibliothèque nationale des Pays-Bas qui décide de la politique d’achat de licences pour l’ensemble du territoire. Ainsi, les bibliothèques n’ont plus le contrôle des ouvrages qu’elles souhaiteraient avoir dans leurs collections. Même s’il est leur peut-être possible de faire part de leurs souhaits à la bibliothèque nationale, les achats sont centralisés.
En Pologne, le système a été mis en place par un libraire et il est encore balbutiant car il y a assez peu de livres numériques de littérature générale. Le lecteur peut néanmoins tout faire : acheter, louer, s’abonner et disposer de la sorte de quinze livres par semestre.
On compte plusieurs initiatives au Royaume-Uni. La première a été Public Library Online, lancée par Bloomsbury, éditeur qui a gagné un peu d’argent en publiant Harry Potter... L’idée était de vendre par étagères : pour un Harry Potter, on vend neuf ouvrages plus difficiles.
Les autres éditeurs ne se sont pas ralliés en masse à ce système et un autre, Overdrive, est le plus employé au monde puisque 18 000 bibliothèques y sont affiliées. Un projet pilote est conduit avec l’association des auteurs, des agents d’auteurs, des éditeurs, des bibliothèques et des libraires. Les retours sont positifs puisque cela encourage la lecture et la fréquentation des bibliothèques. La majorité des personnes interrogées dans le cadre de cette expérimentation ont dit que, si l’offre était suffisante, variée et facile d’accès, elles n’iraient plus acheter leurs livres en librairie.
En Suède, le système fonctionne. Un peu comme au Danemark, tandis que le marché des livres numériques est atone, celui des prêts est en croissance constante. Ce dispositif est relativement favorable aux ayants droit puisque les bibliothèques paient pour chaque prêt l’équivalent de deux euros : un euro va à la plateforme qui gère le système et un euro à l’éditeur qui redistribue ensuite selon les conditions de son contrat. Pour le reste de l’Europe, deux euros cela peut paraître beaucoup d’argent, surtout au regard des rémunérations qui sont généralement versées par les bibliothèques en Europe. Cela me semble un peu compliqué à mettre en place.
Ainsi s’achève ce tour d’Europe très rapide… J’espère être parvenue à démontrer qu’il existait des solutions et que, si elles sont encore imparfaites et en devenir, il n’en demeure pas moins que les auteurs et les éditeurs, mais également les libraires veulent que les bibliothèques restent dans l’écosystème mais en le respectant. Cet écosystème a autant besoin des ventes en librairie, pour continuer à alimenter la machine, que de prêts en bibliothèque.


Merci pour ce panorama européen de pratiques, parfois balbutiantes et parfois plus abouties, de ce phénomène auquel nous allons nous intéresser cette après-midi.
Nous avons autour de la table des parties prenantes. La première est une société d’auteurs, qui nous reçoit aujourd’hui et qui est représentée par son directeur général, Geoffroy Pelletier. Pour sa part, Alain Absire préside la SOFIA, société de gestion qui a une pratique relative au prêt papier et qui pourra donc nous faire part d’une expérience déjà construite. Vincent Bonnet est quant à lui directeur du Bureau européen des associations de bibliothèques et il fera donc valoir le point de vue de ces dernières. Vous venez d’entendre Anne Bergman-Tahon, directrice de la Fédération des Éditeurs Européens, qui prendra naturellement part à notre discussion. Enfin, nous avons avec nous une collègue, une experte juriste, Séverine Dusollier, professeur à Sciences Po Paris, spécialiste de ces questions et qui vient de publier à ce propos un article qu’elle a eu l’amabilité de m’envoyer.
Je vous propose que nous essayions de donner une représentation concrète des différents modèles susceptibles d’être imaginés, proposés pour appréhender le phénomène du prêt numérique. L’objectif est de réfléchir aux initiatives qui seront prises, notamment au niveau européen, qui nous intéresse plus particulièrement.
Nous pourrons ainsi nous demander si les solutions doivent venir des acteurs privés ou des acteurs publics ; si elles doivent être le fait d’acteurs nationaux ou s’il faut impliquer des acteurs de dimension européenne.
Pour que nous ayons la représentation la plus exacte possible de ces modèles, je propose de commencer par donner la parole à Geoffroy Pelletier qui va lancer la discussion en esquissant un certain nombre de modèles auxquels votre société d’auteurs a songé. Naturellement, chacun pourra compléter cette présentation par sa propre expérience ou son propre point de vue.



 ♦ Geoffroy Pelletier
Je souhaitais faire tout d’abord un distinguo, important pour nous et pour la suite de la discussion, entre la licence légale et l’exception. La licence légale, c’est un système juridique dans lequel la loi vient se substituer au droit exclusif de l’auteur pour autoriser l’exploitation de ses œuvres. Ce qui est intéressant, c’est qu’un tel système est assorti d’un droit à rémunération, du moins à compensation. En principe, la gestion de cette rémunération ou de cette compensation se fait nécessairement de manière collective. On en a d’importants exemples en France, notamment celui de la reprographie, qui est mis en œuvre par le CFC, le Centre français d'exploitation du droit de copie, et celui du droit de prêt physique des livres, mis en œuvre par la SOFIA.
Ce qui est fondamental pour nous dans ce principe de la licence légale, c’est que, certes, le droit exclusif n’appartient plus à l’auteur, mais il existe toujours, il n’est pas supprimé. Plus intéressant encore, il y a nécessairement compensation au profit de l’auteur ou des auteurs.
Les choses sont un peu différentes dans le cadre de l’exception. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la dizaine d’exceptions qui existent en droit français : seules deux d’entre elles sont compensées au profit des ayants droit, notamment de l’auteur. Il s’agit de l’exception pédagogique et de la copie privée, seule cette dernière bénéficiant d’une rémunération qui ne soit pas dérisoire. Dans ce cadre, donc, le droit exclusif n’existe plus et, le plus souvent, il n’y a pas de compensation au profit des auteurs.
Si l’on applique cette grille à la question du droit de prêt numérique qui nous est posée, je vois trois hypothèses principales.
La première existe aujourd’hui dans le cadre juridique dont on dispose en France et dans un certain nombre d’autres pays – on l’a vu avec les expérimentations qui viennent de nous être présentées par Anne Bergman-Tahon. Elle consiste en l’existence de contrats entre les éditeurs et les bibliothèques. Dans ce cas, le droit exclusif appartient à l’auteur mais peut difficilement être exercé en pratique puisqu’il est finalement géré dans le cadre du contrat d’édition qui est signé avec l’éditeur, l’auteur ayant peu de marge de négociation pour sortir le droit de prêt numérique de ce contrat. L’auteur ne peut pas négocier le taux de rémunération dont il bénéficie pour cette exploitation – il lui est d’ailleurs difficile de négocier ce taux pour quelque exploitation que ce soit, ce qui nous renvoie aux questions relatives au partage de la valeur. Il ne peut pas non plus avoir toujours l’assurance d’une transparence parfaite dans le cadre du calcul de la rémunération qui lui est proposée et de son versement effectif par l’éditeur.
En France, on est là dans le champ de l’expérimentation menée dans le cadre de PNB, même si le dire ainsi est un peu un raccourci puisque PNB n’est qu’un tuyau dans lequel on trouve une multiplicité d’expérimentations menées par les éditeurs. Mais nous y reviendrons sans doute lorsque nous aborderons l’aspect économique et le partage de la valeur.

La deuxième hypothèse, qui se situe presque à l’autre bout du spectre, est l’exception. Je parle d’une exception européenne qui serait prise par une directive ou par un règlement. Dans ce cas, le droit disparaît totalement ; rien ne permet d’assurer une compensation, a fortiori d’une compensation juste et équitable pour l’auteur, ni un encadrement, convenant à l’ensemble des parties, des usages qui seraient autorisés aux bibliothèques dans un premier temps et par les bibliothèques à leurs usagers, ensuite.
La troisième hypothèse consisterait à partir de l’expérience, que nous connaissons bien en France, du droit de prêt en bibliothèque du livre papier. C’est une expérience positive pour l’ensemble des acteurs du livre. Même si cela a été très compliqué au départ, le dispositif est désormais accepté par l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, auxquels je suis persuadé qu’il a bénéficié. Dans ce cadre, certes, le droit exclusif d’autoriser le prêt numérique des livres n’appartient qu’à l’auteur, mais il existe toujours, ce qui est extrêmement important ; l’auteur est nécessairement rémunéré et avec une clé de répartition qu’on peut espérer plus favorable, fixée soit directement par la loi, soit par une décision prise au sein d’une société de gestion collective. Tel a été récemment le cas pour les livres indisponibles, Alain Absire en parlera mieux que moi. On a de la sorte une assurance plus importante que les sommes parviennent directement à l’auteur.
C’est sur ces trois hypothèses, sensiblement différentes, qu’il nous paraît important de pouvoir au moins discuter. Des expérimentations sont engagées, il faut leur laisser le temps de se poursuivre. Mais il est également urgent de commencer à réfléchir à ces autres hypothèses : je ne vous cache pas que celle de l’exception « sèche », sans rémunération ni compensation pour l’auteur, n’a guère notre préférence – ce n’est pas un scoop – mais il est important que toutes les parties représentées ici commencent à en débattre. Même si nous avons sans doute un peu de temps, nous y sommes poussés par une décision qui devrait intervenir assez vite à propos d’un contentieux néerlandais, sans doute y reviendrons-nous. Qui plus est, le Parlement européen a adopté le rapport Reda, qui mentionne les exceptions pour bibliothèques, cela a été largement souligné ce matin, et des demandes plus ou moins pressantes émanent des associations de bibliothécaires, en France et en Europe. Enfin, il y a une grande disparité entre les expérimentations qui sont menées dans différents pays et on en attend les résultats. Nous avons donc aujourd’hui besoin de nous mettre autour de la table pour commencer à discuter de ces hypothèses, en veillant non seulement à ce que les auteurs y participent mais aussi à ce que la question de la compensation soit bien au centre des débats. S’il est assez facile de dire que, par principe, on souhaite que l’auteur ait une rémunération juste et équitable, il faut aussi que les discussions portent sur les modalités de cette rémunération pour vérifier que ces deux critères sont bien satisfaits.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Merci pour cette présentation qui peut être un point de départ, chacune de ces hypothèses et de leurs variantes pouvant être enrichie par nos débats. Avant de donner la parole à une autre partie prenante, je propose à Séverine Dusollier de nous dire comment ces trois possibilités s’inscrivent dans le paysage juridique français et européen. Quelle est la situation aujourd’hui, avant d’éventuelles évolutions ?

♦ Séverine Dusollier
Comme l’a rappelé Anne Bergman-Tahon, l’état positif du droit de prêt public résulte d’une directive européenne sur le prêt et la location de 1992. Elle accorde aux auteurs un droit sur le prêt de leurs œuvres mais autorise les États d’une part à remplacer ce droit par un droit à rémunération, donc une licence légale – c’est le choix qui a été fait par tous les États membres –, d’autre part à exempter certains établissements de cette rémunération – ce qui a aussi été fait dans de nombreux pays–, pour des motifs de politique culturelle.
La manière dont l’opération de prêt est qualifiée juridiquement est généralement interprétée comme ne s’appliquant qu’aux objets tangibles, donc aux livres, si l’on reste dans le secteur des œuvres littéraires, et ne peut donc être étendue à des opérations de mise à disposition de l’objet en ligne. Si l’on s’intéresse à l’histoire de la directive, les choses ne paraissent pas aussi claires et le sujet a même été évoqué au tout début du développement de l’internet public, mais il est désormais établi que le droit ne s’applique qu’à la mise à disposition d’objets tangibles.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Le cadre juridique existant est donc celui de la directive de 1992, mais il serait en quelque sorte hors-jeu pour le prêt numérique, sauf à ce qu’un acteur veuille lui étendre ce régime, ce qui n’avait pas du tout été envisagé.

♦ Séverine Dusollier
C’est l’objet de la question préjudicielle qu’a évoquée Geoffroy Pelletier, qui a été posée par l’association des bibliothèques publiques néerlandaises, qui a demandé à la Cour de justice quelle est l’interprétation de cette directive et si elle peut s’appliquer à des opérations de prêt numérique. On n’est jamais à l’abri d’une surprise de la part des juges de la Cour…

♦ Jean-Sylvestre Bergé
En dehors de ce premier support légal, qui serait ce droit de prêt européen régi par la directive de 1992 codifiée en 2006, existe-t-il dans le paysage européen d’autres outils qui seraient de nature à alimenter notre discussion sur le choix du modèle ? Pourrait-on par exemple réviser la directive de 2001 pour permettre le prêt numérique ? Ce débat pourrait-il s’intégrer dans une éventuelle réforme plus vaste ?

♦ Séverine Dusollier
Dans la mesure où le droit de prêt public ne couvre pas le droit de prêt numérique, il faudrait aller chercher l’autorisation de ce dernier ailleurs, au-delà du simple exercice du droit exclusif, par les licences, par le jeu du marché, etc. La seule directive où l’on pourrait trouver une réponse est en effet la directive de 2001 puisque c’est celle qui instaure une liste limitative d’exceptions. Or, bien évidemment, on n’y trouve pas les opérations de prêt numérique, sauf à donner une interprétation très large à l’exception relative à la consultation sur place de certaines œuvres figurant au catalogue des bibliothèques. Pour le moment, cette interprétation n’est absolument pas applicable, mais certaines parties prenantes essaient d’étirer l’interprétation de cette exception de façon à couvrir également la consultation à distance, qui se rapprocherait ainsi beaucoup plus dangereusement du prêt public numérique.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
On n’a donc pas pour le moment de texte qui héberge « naturellement » le droit de prêt numérique. On voit bien qu’il existe deux solutions sous-tendues par le droit européen : le droit exclusif supporté par une licence légale si l’on se réfère au prêt du livre papier et le spectre de l’exception si l’on tire du côté de la directive de 2001.
Je propose de redonner maintenant la parole aux parties prenantes à propos des modèles.

♦ Vincent Bonnet
Je veux tout d’abord remercier la SGDL pour son invitation et pour l’organisation d’une table ronde qui regroupe l’ensemble des parties prenantes, ce qui est relativement rare. Or, il est important de poursuivre les discussions sur ce sujet.
De quoi parle-t-on quand on parle de prêt numérique ? La question est peut-être là puisque, en fait, on ne prête pas un document qui revient à la bibliothèque, on a un accès temporaire à un document. Or, la question de l’accès aux documents est posée depuis déjà un certain temps, autour de plateformes comme Numilog ou Cyberlibris, même s’il ne s’agit pas de la même chose que quand on parle de prêt numérique sous le format PNB. On voit toutefois que le phénomène n’est pas nouveau au sein des bibliothèques et dans la chaîne du livre.
S’agissant des bibliothèques, la présentation par Anne Bergman-Tahon d’un bon nombre d’initiatives en Europe nous montre que des expérimentations sont en cours mais les bibliothèques sont rarement à l’initiative. En Belgique, dans la partie néerlandophone, les bibliothèques sont partie prenante de la plateforme, mais l’offre est extrêmement restreinte puisque 400 titres seulement sont accessibles sur De BiB. Anne Bergman-Tahon a en outre rappelé que le livre numérique ne représente que 6 % du marché en Allemagne et moins encore en France, et l’offre des bibliothèques est encore plus faible dans ce domaine puisqu’elles n’ont accès qu’à une partie du marché. Il est donc très compliqué pour elles de voir quelles offres elles peuvent proposer à leurs usagers. En raison des licences, les bibliothèques n’ont pas accès, dans le choix des contenus, à l’ensemble de l’offre éditoriale existante. Le choix des titres fournis aux bibliothèques au format numérique est soumis à l’autorisation de l’auteur, donc à l’éditeur qui donne l’autorisation d’accès à tel ou tel titre

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Pour l’instant, votre modèle repose sur une construction privée, via un contrat. C’est l’éditeur, qui a la maîtrise des droits ¬– l’auteur n’étant pas partie prenante à cette discussion –, qui négocie les possibilités de prêt numérique directement avec les bibliothèques. On a donc du mal, selon vous, à avoir une idée globale de ce qui se fait en la matière.

♦ Vincent Bonnet
On n’a pas dans le monde numérique des droits équivalents à ceux qui existent dans le monde physique ; on ne peut pas faire la même offre au lecteur. On ne peut donc pas appliquer tel quel le modèle existant.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Alain Absire, vous avez en quelque sorte identifié le problème avant tout le monde puisque vous êtes « Monsieur prêt papier »… La grande question est de savoir si le prêt papier offre un modèle qui est susceptible d’être étendu au prêt numérique auquel nous nous intéressons plus particulièrement.

♦ Alain Absire
Le prêt papier qui est né dans cette maison il y a plus de quinze ans répondait à un questionnement des auteurs ne bénéficiant d’aucune compensation du fait du prêt public de leurs livres au plus grand nombre. Il a été particulièrement difficile à construire mais il a permis de mettre en place un dispositif exceptionnel, révolutionnaire à l’époque, à savoir l’entente et le partenariat entre les auteurs et les éditeurs pour porter ensemble un projet, une loi et sa mise en œuvre, dont le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle était au départ tout sauf évidente.
Depuis ce matin, nous sommes surtout entre juristes, mais il n’y a pas que cet aspect des choses à envisager : il faut aussi voir qu’aujourd’hui, avec le prêt numérique, ce qui est en jeu est encore plus fondamental qu’avec la mise en œuvre du prêt papier. On parlait alors d’écosystème du livre mais, ici, c’est de la survie de cet écosystème qu’il s’agit. En effet, ce que j’appellerai en schématisant « La gratuité tous azimuts » met gravement en péril ce système et ses acteurs, c’est à dire les auteurs, les éditeurs, les libraires mais aussi, à mon avis, les bibliothécaires et l’ensemble des lecteurs qui sont en droit de disposer d’une offre de lecture à la fois la plus complète possible et constamment enrichie par le biais de nouveautés de grande qualité.

Il nous revient donc de trouver des solutions pour que notre identité et la nature du partage culturel qui est le nôtre via la librairie, via l’achat des livres, via aussi le prêt et le rôle essentiel que joue le réseau de nos bibliothèques à travers toute la France, puissent être maintenus. Car, une mise à libre disposition systématique et incontrôlée, des nouveautés, des best-sellers et des autres livres publiés dans leur conception actuelle : papier, librairie, etc., risque d’asphyxier la création littéraire, de remettre en cause toute l’économie du livre et de porter atteinte aux spécificités de notre identité culturelle.
Alors, voyons les choses telles qu’elles sont et trouvons ensemble une solution pour le prêt numérique comme nous y sommes parvenus pour le prêt papier.
Vous me posez donc la question de l’utilisation comme modèle de ce qui s’est passé pour le livre papier, notamment avec la loi de 2003. Je crois qu’aujourd’hui plus personne ne remet cette loi en cause et dieu sait pourtant combien elle a soulevé de protestations à l’époque. Le conflit entre intéressés est allé loin, jusqu’au sein même de la communauté des auteurs où l’on s’écharpait allégrement. Désormais le système n’est plus contesté et fonctionne bien : environ 17 millions d’euros sont collectés chaque année par la SOFIA. Sur ce total, 5 millions permettent d’assurer l’abondement pour moitié de la retraite complémentaire des auteurs. C’est un point essentiel pour la survie économique des auteurs et illustrateurs de livres. C’est ainsi que, grâce à cette collecte et au régime de protection sociale qu’il a permis de mettre en place, nous venons en aide aux créateurs dans un domaine au moins aussi essentiel que celui de leur rémunération.
En outre, en matière de droits redistribués, le droit de prêt du livre papier permet aussi le partage des sommes collectées par moitié entre auteurs et éditeurs, avec environ 2,15 euros perçus par livre acheté par les établissements de lecture publique, ce qui n’est pas négligeable chacun en convient. Notons qu’une part de la rémunération vient de l’État : 1,50 euro par inscrit pour les bibliothèques publiques et 1 euro pour les bibliothèques universitaires.
Je ne pense évidemment pas que l’on puisse transposer à l’identique ce système au numérique, les règles à fixer sont différentes, ne serait-ce qu’en matière de durée d’utilisation des fichiers « acquis » par les bibliothèques et de simultanéité de prêt du contenu de chaque livre. Pour en revenir au prêt papier, souvenons-nous de l’attention qui a été portée aux libraires dans ce cadre. On parle aujourd’hui, à juste titre, de notre réseau français de libraires indépendants, dont l’utilité culturelle et économique n’est plus à prouver. Ce réseau de grande qualité, emblématique en Europe, a été favorisé par la loi de 2003 et le plafonnement des remises qu’elle a instauré, permettant aux libraires d’entrer de nouveau, de manière équitable, dans le jeu du prêt public.
La SOFIA, société de gestion collective, a permis la mise en œuvre de ce prêt « physique » avec les outils de gestion nécessaires. Chacun lui reconnaît l’expérience unique qu’elle a acquis en ce domaine.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Si le modèle qui est le vôtre, avec le paritarisme et l’intervention des parties prenantes, est un succès, peut-on faire cela en Europe ? Si l’on reproduit un tel schéma, ne va-t-on pas forcément rester à l’échelon national, ce qui n’est pas un mal en soi, mais qui peut sembler en contradiction avec la recherche de solutions européennes à laquelle nous nous attelons depuis ce matin ? Le modèle que vous venez de décrire semble lié à un contexte social national. N’est-il envisageable que de s’en tenir à cela ou peut-on imaginer les choses à une plus grande échelle, l’échelle européenne ?

♦ Alain Absire
Nous parlons ici en effet de l’harmonisation de directives européennes. Mais, comme le disait Geoffroy Pelletier, tout dépend de ce qui nous sera annoncé par Bruxelles. Pour l’heure, nous sommes dans l’expectative. Ce n’est pas une raison pour écarter une hypothèse de travail. Mais, en matière de prêt numérique, il y en a d’autres, en particulier celle qui permet de fixer des conditions d’utilisation négociées à des prix fixés par les éditeurs. Nous y reviendrons tout à l’heure.
En attendant, je voudrais citer un exemple probant, s’agissant de gestion paritaire : vous savez sans doute que la SOFIA a été désignée pour gérer les droits dans le cadre de la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle. Après bien des discussions, auteurs et éditeurs sont parvenus à un accord qui garantit la protection des œuvres, la qualité de la numérisation et la rémunération des auteurs, soit : 15 % pour les auteurs d’origine qui ont souscrit les licences (à vérifier), avec un euro de minimum garanti de droits versés. Cela est en train de se mettre en place et cela fonctionne. Nous savons donc que nous pouvons nous entendre si l’on nous en donne la possibilité : la SOFIA n’est là que pour mettre en vigueur ce qui est décidé par ailleurs.

♦ Geoffroy Pelletier
Je reviens à la double question de Jean-Sylvestre Bergé : d’une part, peut-on transposer au numérique l’expérience du droit de prêt papier en France ? D’autre part, peut-on le faire à l’échelle européenne ?
Le droit de prêt papier a en effet été mis en place de façon différente selon les pays, sachant que nous n’avons jamais empêché les autres pays de faire aussi bien que nous… (sourires) Nous ne prétendons pas que notre modèle est parfait mais force est de constater qu’il a réussi : il n’y a pas de raison que des États amenés à appliquer la même directive ne fassent pas aussi bien.
La transposition au numérique de ce que l’on sait faire pour le prêt papier ne saurait évidemment être automatique : la nature même de l’objet papier fait que les autorisations qui étaient proposées aux bibliothèques découlaient directement du fait de ne pas pouvoir prêter simultanément le même livre à deux lecteurs… La question va bien sûr se poser différemment pour le numérique. Mais, pour autant, ce n’est pas parce que le numérique nous autorise à faire beaucoup de choses qu’il nous autorise à faire tout et n’importe quoi.
Il faudra donc réinventer quelque chose, mais cette transposition doit pouvoir se penser ensemble, à la condition qu’un certain nombre d’entre nous veuille au moins y réfléchir. Cela est d’autant plus impératif qu’il est possible que nous soyons amenés un jour à devoir transposer en France quelque chose qui aurait été décidé au niveau européen. Si l’on y a réfléchi avant, on pourra essayer de faire en sorte que le texte de la future directive ne nous empêche pas de mettre en place un système qui nous conviendrait. À défaut, nous aurons vraiment raté le coche.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Si je comprends bien, la solution qui a consisté, pour le prêt du livre papier, à proclamer un droit exclusif et à laisser ensuite à chaque État la liberté de traduire cela dans ses mécanismes comme il l’a entendu – ce qui prend quand même un certain temps, nous l’avons vu en France –, puis à faire des parties prenantes les acteurs du processus, pourrait être une des voies, sans reproduire exactement les mêmes modèles.

♦ Anne Bergman-Tahon
S’agissant de l’harmonisation européenne, les perspectives ne sont actuellement pas favorables. Si l’on interpelle les politiques européens et qu’on leur demande que la compensation soit inscrite avec les exceptions, on nous répond systématiquement que la compensation relève des décisions des États membres. Et, quand je dis que, vingt-quatre ans après, quatre États ne paient toujours pas, que l’Espagne ne paie que 100 000 euros – à comparer aux 17 millions que vient d’évoquer Alain Absire… – on a du mal à imaginer un texte européen qui imposerait un niveau de compensation.
Par ailleurs, un grand nombre de pays, notamment les pays scandinaves, ne rémunèrent que leurs auteurs. Cela signifie que les auteurs traduits dans les langues de ces pays ne sont pas rémunérés par le droit de prêt parce que ce n’est pas considéré comme tombant sous le champ du droit d’auteur mais d’un soutien culturel aux auteurs.
Une harmonisation permettrait-elle de mettre à plat toutes ces législations et de dire ainsi aux Scandinaves qu’ils vont désormais payer aussi les Britanniques, les Français, les Allemands qui sont traduits chez eux ?

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Il est très peu probable que l’on puisse emprunter le début du commencement de cette voie… Pour souhaitables qu’ils soient, des accords de ce type semblent impossibles à obtenir. Quand on joue la carte de la subsidiarité nationale et qu’on est face à un phénomène interterritorial, faut-il ou non rester dans des schémas de gestion nationaux, avec des opérateurs publics ou privés ? Telle est la question que je pose pour donner une dimension européenne à notre réflexion.

♦ Séverine Dusollier
Pour le moment, l’extension de l’exception du prêt public au prêt numérique n’est pas envisageable. Il faudra bien qu’il y ait une initiative européenne pour poser le cadre d’un éventuel recours à une licence légale ou à une exception – je pense que personne ici n’y est favorable. Une autre solution consisterait, par une dérogation un peu atténuée au droit exclusif, à confier à une gestion collective obligatoire le pouvoir de la gestion et de l’octroi de licences.
Si le législateur européen décide non pas de calquer le prêt numérique sur le prêt papier mais d’assurer une certaine transition du second vers le premier, il me semble qu’un plus grand nombre de conditions devra être posé que pour le prêt papier. En effet, par nature, un fichier numérique offre bien plus de confort d’utilisation. En outre, le prêt papier n’est pas directement en concurrence avec l’achat en librairie car nombreux sont ceux qui n’ont pas envie de se déplacer jusqu’à une bibliothèque, parfois distante de plusieurs kilomètres, dont les horaires d’ouverture ne leur conviennent pas toujours. Au contraire, une bibliothèque numérique est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans qu’il soit besoin de se déplacer. Les facilités d’usage font donc craindre qu’il y ait substitution si l’on étend l’exception de prêt au prêt numérique.
Personnellement, je ne le crois pas : je pense que le prêt public a toujours un avenir dans le numérique et ne va pas de sitôt remplacer la vente de livres sur le marché. Pour autant, il doit s’accompagner d’une série de limitations. Il me semble que le modèle une licence = un seul prêt à la fois – et non pas plusieurs lecteurs simultanés d’une même copie – est une voie à explorer. On ne peut en effet imaginer qu’on pourrait couvrir tout le pays avec une seule copie hébergée dans une bibliothèque publique : cela irait totalement à l’encontre de l’exploitation des œuvres.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Bien sûr. Il serait intéressant que ceux, tel Alain Absire, qui ont évoqué d’autres options développent leur pensée, mais aussi que nous ayons de la part des éditeurs un retour à propos de la pratique contractuelle qui est actuellement la leur.
Ensuite, je ne sais pas si M. Bonnet veut défendre l’exception, ce qui serait un parti courageux dans cette salle (sourires), mais nous devons tout de même en parler car, à défaut, ma neutralité risque d’être mise en doute en dépit du serment que j’ai prêté…

♦ Alain Absire
Je ne suis pas éditeur mais auteur même si, en tant que président de la SOFIA, je peux représenter aussi les éditeurs. Toutefois, je tiens à souligner que l’expérimentation actuelle concernant le prêt numérique en bibliothèque ne se fait pas via la SOFIA.
Nous sommes actuellement dans un cadre contractuel qui permet, éditeur par éditeur, d’organiser le prêt numérique via les usagers.
Pour ma part, en tant qu’auteur, je veux aussi insister sur un aspect positif : ce système permet la maîtrise par les éditeurs de la publication numérique, du prix et, surtout, des usages. C’est fondamental car notre vrai problème est au fond la tentation de l’épuisement du droit de distribution, c'est-à-dire celle du fichier indéfiniment utilisable, circulant de manière simultanée, de bibliothèque en bibliothèque. Cela ne serait dans l’intérêt de personne, pas même des bibliothèques, qui risquent de voir de la sorte le vivier de leurs fichiers s’assécher dans la mesure où toute la production et toute la création, s’en trouveraient forcément atteintes.
Il est donc préférable que la bibliothèque n’ait un seul interlocuteur qui passe par le réseau des librairies servant d’interface. De la sorte, les usages sont réglementés, le nombre d’accès simultanés est limité, de même que le nombre d’emprunts permis par livre. La durée maximale de l’emprunt est fixée, l’enregistrement chrono-dégradable est prévu, la possibilité de location d’ouvrages en bouquet pendant une période donnée est encadrée. Cet aspect des bouquets devra bien être envisagé pour savoir qui fait quoi, comment et avec quelles garanties cela sera organisé..
En revanche – c’est toujours l’auteur qui s’exprime plutôt que le président de la SOFIA –, je reste un peu interrogatif en ce qui concerne la rémunération de l’auteur. Même si je crois que, en matière de prêt numérique, c’est d’abord sur les usages qu’il faut travailler puisque toute rémunération en découlera.
Dans le contrat d’édition numérique tel qu’il existe aujourd’hui, l’auteur cède à l’éditeur le droit de reproduire et de présenter l’œuvre en édition numérique et il est dit que l’auteur doit percevoir une rémunération sur l’ensemble des recettes provenant de la commercialisation et de la diffusion numérique de son œuvre. Si c’est ce système qui est installé – et nous pouvons considérer que c’est une hypothèse de travail sérieuse – il faudrait qu’auteurs et éditeurs puissent s’entendre sur les paramètres de cette rémunération, comme ils ont pu le faire, au sein de la SOFIA, pour les livres indisponibles, y compris pour les bouquets et les abonnements – à hauteur également de 15 %, mais de la recette d’exploitation et non du prix de vente.
A mon sens, il est impossible que nous n’avancions pas ensemble : là clé du succès est là.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Avez-vous une idée un peu plus précise des usages qui existent déjà par les principes contractuels et qui dessinent l’ébauche du modèle de fonctionnement du prêt numérique ? Des études ont-elles déjà été conduites ?
C’est là une source d’inspiration même si ce n’est pas le modèle qui sera finalement retenu.

♦ Anne Bergman-Tahon
On voit bien qu’il y a deux grandes orientations. Dans un modèle, on acquiert une licence pour un ouvrage, on le prête, quand le prêt est épuisé on peut le prêter de nouveau. Dans l’autre modèle, on acquiert un certain nombre d’usages et on peut en prêter de manière simultanée soit l’ensemble soit une partie. C’est en général le souhait des bibliothécaires, qui n’ont pas envie d’épuiser en une fois le capital d’usages dont ils disposent sur une œuvre.
Si l’offre n’est pas exhaustive, elle tend à le devenir : les grands éditeurs français viennent d’entrer dans PNB et, en Allemagne, Holtzbrinck vient d’apporter son catalogue à Divibib.
Je me demande, aussi en tant que lectrice, si le rôle des bibliothèques est de prêter des best-sellers, qui font fonctionner la librairie puisque ce sont des ouvrages qui se vendent très rapidement. Or, les études sur le prêt en bibliothèque montrent que ce sont surtout des best-sellers qui sont prêtés.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Il y a plus de deux modèles en ce qui concerne les usages, mais, pour vous, la distinction essentielle est à faire entre la licence par ouvrage et le multi-usages.

♦ Vincent Bonnet
Les bibliothèques demandent à prêter les best-sellers mais cela ne signifie pas qu’elles ne vont prêter que cela ni qu’elles renoncent à offrir l’ensemble des titres. La limitation « naturelle » des bibliothèques, c’est leur budget, avec lequel elles ont à offrir un panel d’ouvrages à leurs lecteurs. Ce panel sera composé pour partie de best-sellers, mais aussi de beaucoup de contenus culturels dont certains forment des niches qui ne sont pratiquement occupées que par les bibliothèques.
On voit bien qu’il y a une multiplicité d’usages. Au Danemark, Ereolen combine plusieurs modèles : un modèle basé sur une licence (licence model), un modèle  basé sur l’abonnement (suscription model), et un modèle basé sur l’accès par par titre(click model). Ces usages multiples font l’objet de négociations entre éditeurs, bibliothécaires et fournisseurs.
La règle générale dans les bibliothèques était que l’on prête pour trois semaines, un document à la fois. Les discussions sur les restrictions à apporter sont ouvertes et les bibliothécaires n’y sont pas hostiles : ils ne veulent pas casser le marché, au contraire, ils participent de la dynamique d’ensemble de ce marché.
Anne Bergman-Tahon nous a dit que le taux de collecte est faible en Espagne, mais ce pays a connu entre 2008 et 2013 une période difficile de crise, au cours de laquelle les budgets des bibliothèques ont été réduits de moitié, tandis que le nombre de leurs usagers doublait. Ailleurs aussi, elles rencontrent des problèmes de budget, d’accès aux documents.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Il peut aussi y avoir des phénomènes de report : vous décidez de vous positionner sur tel type d’ouvrages plutôt que sur tel autre.

♦ Séverine Dusollier
Je voulais aussi réhabiliter le rôle des bibliothèques. Pour moi, elles ne sont pas simplement un acteur du marché du livre. Si j’ai pris position dans un article en faveur d’une licence légale pour le prêt public, je serais aussi en faveur d’une gestion collective obligatoire.
La bibliothèque est un des acteurs de l’accès au livre et un acteur qui donne un accès au livre qui n’est pas médiatisé par le marché, c’est extrêmement important. Cela tient d’abord au fait que c’est le bibliothécaire qui constitue son catalogue. Bien sûr, les lecteurs lisent ce dont ils ont entendu parler, bien sûr, on y trouve des best-sellers, mais, si vous êtes fan d’Harry Potter, vous n’allez pas attendre que le dernier volume soit disponible dans votre bibliothèque, vous allez immédiatement l’acheter en librairie.
Par ailleurs, les bibliothèques permettent l’accès au livre de tous les publics, notamment à des publics fragilisés économiquement, et l’exemple de l’Espagne est frappant de ce point de vue, mais aussi aux jeunes, aux adolescents qui n’ont pas encore de budget personnel pour acheter des livres, ou qui veulent accéder à certains ouvrages sans solliciter l’accord de leurs parents. La bibliothèque est donc aussi un enjeu démocratique important.
Les bibliothécaires américains ont émis vis-à-vis des systèmes comme OverDrive, qui sont dominants dans le prêt d’e-books organisé avec les éditeurs, des critiques portant en particulier sur le traitement des données personnelles : les données d’emprunt des livres numériques étaient transférées à Amazon qui en profitait pour suggérer des lectures conformes au goût des lecteurs. Cela montre combien l’intercesion du marché dans l’accès aux livres a des conséquences qu’il ne faut pas négliger. Pour ma part, je plaide en faveur d’un développement du prêt numérique en dehors du simple champ des accords entre éditeurs et bibliothèques ou avec des libraires. En effet, dans la présentation d’Anne Bergman-Tahon, beaucoup d’initiatives étaient le fait de libraires et, pour moi, cela relève davantage de la location que du prêt. Certes, tout ce qui permet d’accéder aux livres va dans le bon sens, mais lorsque l’on parle de bibliothèques, si elles ont leur place dans l’écosystème dont parlait Anne Bergman-Tahon, elles sont aussi hors marché, ce qui est une bonne chose – jusqu’à un certain point bien sûr, je ne suis pas complètement naïve…

♦ Anne Bergman-Tahon
Il y a des centaines d’offres de libraires pour les lecteurs, tandis que les initiatives que j’ai mentionnées sont tournées vers les bibliothèques publiques. Il me semble essentiel que l’offre en bibliothèque passe par la librairie : on ne peut pas défendre un écosystème et refuser cela.

♦ Alain Absire
Si ce n’est que, avec le prêt numérique, le rôle du libraire change de nature puisqu’un exemplaire est « duplicable » à l’infini et que l’usage doit être encadré.

♦ Geoffroy Pelletier
Je partage un certain nombre des idées qui ont été exprimées.
Je trouve que l’on passe un peu vite sur la concurrence et l’absence de substitution. S’agissant de l’absence de concurrence pour le papier, sur laquelle on se fonde surtout, je suis plutôt d’accord : on n’a jamais réussi à démontrer qu’il y avait une réelle concurrence entre l’offre des bibliothèques et celle des librairies, on n’a d’ailleurs jamais non plus vraiment réussi à prouver l’inverse… On s’aperçoit plutôt, à l’usage, que dans les villes où il y a de bonnes bibliothèques, les librairies vont bien, on peut donc se dire que l’on peut vivre ensemble en bonne harmonie.
Le numérique change quand même beaucoup de choses. On ne peut décréter qu’il n’y a pas de substitution. Avec le livre papier, quelqu’un qui veut lire le dernier Harry Potter n’attendra pas que la bibliothèque soit ouverte à un horaire qui lui convient, qu’une place de parking soit disponible, que l’ouvrage soit rendu par le précédent emprunteur. Mais cela n’est plus vrai avec le numérique ! Certes, il y a aussi la question du budget des jeunes, mais imagine-t-on que si le prix du livre baissait, des hordes de jeunes se presseraient aux grilles des bibliothèques pour avoir accès aux livres ?
Le trait me semble un peu forcé et, si l’on veut desserrer un peu le budget culturel des jeunes, demandons plutôt aux vendeurs d’IPhone et de chaussures de sport de réduire leurs marges, pas aux auteurs !
S’agissant de la concurrence, les choses vont évidemment se jouer sur les usages, qui seront encadrés, d’une manière ou d’une autre : par l’éditeur dans le cadre des expérimentations ou de façon juridique dans le cadre d’une licence légale.
Le spectre qu’a évoqué Séverine Dusollier est extrêmement large, depuis un achat = un prêt jusqu’à l’hypothèse – à laquelle elle semblait heureusement ne pas croire – d’un achat rendant l’ouvrage disponible à tous les usagers dans toutes les bibliothèques de France, si ce n’est de tous les pays européens dans une mutualisation absolue… Entre ces deux extrémités du spectre, il y a bien sûr des usages très différents, que l’on soit dans l’expérimentation, donc dans un accord entre l’éditeur et la bibliothèque, ou dans une démarche plus juridique d’encadrement d’une licence légale.
Sur la question des usages, je crois que l’on ne peut pas répondre aussi rapidement que cela a été fait. Il y a pratiquement trois niveaux d’usage : celui qui est autorisé par l’éditeur à la bibliothèque, celui que la bibliothèque, dans le cadre de ce qui lui est autorisé, va décider pour ses usagers inscrits, enfin la réalité pratique, c'est-à-dire ce que fait vraiment l’usager, dans le cadre qui lui est autorisé par la bibliothèque. Sur ces trois types d’usage, on a pour l’instant très peu de recul. Tout d’abord parce que les expérimentations sont récentes. Ensuite parce que l’offre se constitue peu à peu, et d’ailleurs assez rapidement, en dépit de difficultés techniques très importantes puisqu’il faut que tout cela entre dans des tuyaux avec des dispositifs qui ne communiquent pas forcément facilement. Pour que l’offre parvienne à la bibliothèque, il faut faire coïncider des dispositifs techniques avec des formats différents, des éditeurs différents et l’on ne doit donc pas s’étonner que tout ne soit pas immédiatement disponible en lecture numérique dans les bibliothèques, en dépit des efforts des éditeurs.

Nous disposons désormais sur l’expérimentation menée dans le cadre de PNB de chiffres qu’il faut toutefois prendre avec beaucoup de précautions car ils ne portent que sur une seule année, l’offre continuant d’ailleurs à se développer et le nombre de bibliothèques qui entrent dans le dispositif ne cessant d’augmenter. On m’a néanmoins autorisé à communiquer un certain nombre d’éléments qui ne manquent pas d’intérêt.
Toutes offres des éditeurs confondues, la part de la littérature atteint environ 70 %. Sur l’ensemble des titres, 70 % sont limités à 30 prêts autorisés pour un exemplaire acheté, 20 % autorisent 40 prêts, 5 % jusqu’à 50 prêts. Les prêts sont autorisés pour moitié sur une durée de trois à six ans et de six à neuf ans pour l’autre moitié. S’agissant de la simultanéité, 40 % des titres peuvent être empruntés dix fois en même temps et 30 % trente fois. Pour reprendre l’exemple du dernier Harry Potter, le jour de sa sortie, il est disponible en bibliothèque et, dans le dernier cas cité, il peut être prêté trente fois simultanément pour un seul achat.
Dans la pratique, on constate que l’on est plutôt dans une moyenne de dix prêts par exemplaire acheté. Telle est, aujourd’hui, dans la limite de l’exercice, la réalité de l’usage.
On vérifie donc qu’il y a ce qui est autorisé par l’éditeur, la pratique du bibliothécaire et, finalement, l’usage réel, dix prêts étant déjà un nombre assez important.

Intéressons-nous maintenant à la rémunération des auteurs, en faisant un parallèle entre la rémunération du prêt papier et celle qui existe dans les expérimentations de prêt numérique. Dans les deux cas, la bibliothèque achète un exemplaire, l’auteur perçoit sa rémunération – pour faire simple disons 10 % dans les deux cas, du prix d’achat du livre papier comme du livre numérique. Dans le système du prêt papier, il percevra, comme l’expliquait Alain Absire, 1,15 euro de plus pour que la bibliothèque ait le droit de prêter le livre autant de fois qu’elle le souhaitera jusqu’à ce qu’il soit trop abîmé pour être prêté et qu’elle en rachète un, dans les mêmes conditions. Dans le numérique, l’auteur touche les 10 % sur le prix d’achat mais ensuite il ne touche rien de plus sur le livre qui peut être prêté jusqu’à 50 fois et parfois de façon simultanée. Or, si l’usage est aujourd’hui de dix prêts par exemplaire acheté, car les inscrits au prêt numérique sont encore rares, car l’offre demeure limitée, car les usagers sont peu équipés, lorsque tous ces obstacles auront été levés, il sera impossible de revenir en arrière, les auteurs ne percevront plus aucune rémunération et, derrière, c’est toute la chaîne du livre qui sera en danger.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Votre démonstration me fait dire que, lorsqu’on traite ce sujet sans se placer sur le terrain juridique, il faut aussi accepter l’idée qu’il ne s’agit pas de prêt. Dans les discussions en cours à Bruxelles sur la refonte de la réglementation du droit d’auteur à l’ère numérique, il me semble qu’il y a une carte à jouer en considérant qu’il ne faut pas partir du schéma prêt mais d’autre chose, qui ressemblera à une communication au public – non pas bien sûr au sens de la radiodiffusion. Il me semble très important d’adapter en conséquence la stratégie des acteurs européens, dès lors que nous constatons que le mot prêt se délite…

♦ Geoffroy Pelletier
Il n’y a pas que le mot qui se délite…

♦ Vincent Bonnet
On retrouve un peu ce que j’avais dit de la difficulté de comprendre et d’appliquer directement le concept de prêt numérique.
S’agissant du nombre de prêts à partir d’un seul achat, si les trente prêts possibles sont épuisés le premier jour, on achètera une autre licence. On est donc bien dans une forme de reproduction de ce qui se fait pour le prêt papier, même si on n’achète pas un livre par personne.

♦ Geoffroy Pelletier
C’est presque pire puisque vous épuisez de la sorte, autour du réseau de la librairie physique, soixante lecteurs avec deux achats…

♦ Séverine Dusollier
L’étude que vous avez citée montre bien que le système, tel qu’il se met actuellement en place, ne garantit pas la rémunération de l’auteur. Pour peut-être élargir la rémunération par rapport au prêt papier – qui est déjà importante en France, si je vous disais combien touchent les auteurs en Belgique, vous pleureriez… –, on peut passer soit à un dispositif d’exception avec droit à rémunération encadré par la loi, qui tienne compte des spécificités du numérique, soit à un système de gestion collective obligatoire responsable des conditions de ce prêt.
Je déplore tout autant que vous l’absence de rémunération pour les auteurs.

♦ Geoffroy Pelletier
J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une étude, mais de quelques moyennes tirées des premiers résultats de l’expérimentation d’offres très différentes au sein de PNB.
Je m’interroge énormément sur ce qui reste de rémunération pour l’auteur, mais aussi, en sortant de mon champ de compétence, pour l’éditeur. L’auteur et l’éditeur sont en effet dans le même bateau, la différence tient au fait que c’est l’éditeur, probablement contraint par les demandes des bibliothèques, qui accepte ces conditions, l’auteur n’ayant pas voix au chapitre. Quoi qu’il en soit, tout ceci m’apparaît fragile et dangereux pour les auteurs, pour les éditeurs mais aussi pour les libraires, donc, comme je le disais, pour l’ensemble de la chaîne du livre, y compris, in fine, pour les bibliothèques et pour les lecteurs puisque, le jour où il n’y aura plus d’auteurs rémunérés, il n’y aura plus de livres et vous n’aurez plus rien à prêter trente fois…

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Nous avons le temps d’un bref échange avec la salle.

♦ Christian Roblin
Je souhaite faire quelques observations factuelles sur les best-sellers, les meilleures ventes. La SOFIA dispose d’indications assez précises sur les achats des bibliothèques. Les bibliothécaires faisant très bien leur travail, ils ont acheté 400 000 titres différents et 8 millions d’articles, sans jamais dépasser 4 000 exemplaires pour la France entière. L’achat de best-sellers n’est ainsi pas du tout leur job, on ne peut donc pas parler de concurrence, et ils font un travail remarquable d’entretien du fond papier.
On comprend souvent mal pourquoi, alors puisqu’il existe un droit à prêt pour le papier, il n’y a pas une extension naturelle vers le numérique. C’est parce que, à l’origine, il n’était pas prévu que l’on puisse prêter un livre à d’autres qu’a été instauré le droit de prêt. Or, le problème ne se pose absolument pas pour le prêt numérique puisqu’il y a des licences qui permettent les utilisations, des conditions d’utilisation négociées, à des prix fixés par les éditeurs, les libraires ou les fournisseurs des livres numériques. La nécessité d’une licence légale ne tombe donc pas sous le sens, il y a des instruments pour gérer tout cela de façon complètement numérique, nous-mêmes pouvons le gérer en tant que société de gestion collective disposant des outils, mais on n’imagine pas que les éditeurs ne disposent pas aussi de leurs outils sur les plateformes comme Eden.
Dès lors, soutenir la licence légale devient une position idéologique. Quand j’entends mon ami Vincent Bonnet nous dire que les pauvres Espagnols n’ont que 100 000 euros parce qu’ils sont en crise, excusez-moi mais ce n’est pas comme cela que l’on gère un système. Le vrai problème c’est que, faute des moyens de payer, on impose à un secteur d’activité une taxe extrêmement lourde, en ne le rémunérant plus pour la valeur de ses biens et de ses prestations.
Par ailleurs, nous sommes dans un système libéral de marché et il ne me semble pas légitime de prévoir des exceptions à tous les carrefours : laissons le marché s’exprimer, laissons-lui un peu de temps pour que cela fonctionne. La nécessité d’une rémunération peut apparaître à un moment ou à un autre, notamment dans le cas où des livres seraient achetés au prix public – je rappelle que les DVD se vendaient entre 80 % et 400 % plus cher aux médiathèques. Il faut donc réfléchir au modèle économique : le prix du livre a été fait pour qu’un utilisateur privé puisse l’utiliser dans le cercle de famille, pas pour qu’un organisme public le prête à quiconque souscrit un abonnement gratuit.
Je souhaite que l’on prête la plus grande attention aux termes de la réflexion avant de se livrer à des transpositions oiseuses qui n’ont aucune raison d’être sur le terrain juridique et économique.

♦ Geoffroy Pelletier
Je crois que personne autour de cette table n’a dit que mettre en place un droit de prêt numérique tombait sous le sens au motif qu’il en existe un pour le prêt papier, ni même qu’il y avait une nécessité juridique à le faire. Simplement, nous avons insisté sur le fait qu’il était dommage d’écarter d’emblée une autre possibilité que celle des expérimentations dont on a aujourd’hui connaissance et dont les premiers résultats montrent que la rémunération qui est proposée aux auteurs et même les revenus des éditeurs semblent extrêmement faibles par rapport aux usages qui sont proposés aux bibliothèques. Il y a un équilibre à trouver, qu’il soit dans le cadre des expérimentations ou d’un système de licence légale auquel personne ne nous aurait contraints juridiquement ou parce que cela tombait sous le sens, mais auquel nous aurions eu l’intelligence de réfléchir ensemble avant que cela nous tombe dessus. Il serait dommage de se priver de cette réflexion et de ne pas aller plus loin pour voir si, comme vous le dites, on peut acheter un livre numérique quatre fois plus cher si on peut le prêter quatre fois, ce qui reviendrait d’ailleurs exactement au même que de l’acheter une fois pour le prêter une fois… Ce qui est vraiment intéressant, ce sont les usages qui sont autorisés. Si on doit passer par la voie contractuelle, soit, mais il faut que nous, auteurs, ayons le droit de participer à cette discussion. À défaut, on aura ce qu’on a aujourd’hui, c’est-à-dire zéro pour un livre qui peut être prêté quarante fois. Eh bien, on voit qu’il y a une vraie nécessité de se mettre autour de la table et d’en parler : que ça soit juridique, que ça tombe sous le sens, je m’en fiche, il y a nécessité qu’on en parle, tout simplement !

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Je sens que la salle s’échauffe…

♦ Vincent Bonnet
À entendre ce qui se dit, on a l’impression que les bibliothécaires sont les hommes forts des discussions et qu’ils gèrent l’ensemble des contenus : ce n’est pas vrai du tout ! Nous sommes, comme les auteurs, une des parties prenantes à la discussion. Avec le passage au numérique, à la différence du livre physique, où nous achetions une collection que nous avions ensuite en notre possession, on ne possède plus les collections. Nous n’avons en outre aucune idée de ce qui est fait avec les données de nos utilisateurs, qui sont peut-être fournies à des tiers, et nous ne savons absolument pas comment les bibliothèques peuvent garantir la protection des données. Enfin, nous ne possédons pas les fichiers numériques : on ne peut ni copier, ni sauvegarder les fichiers. Au total, on est très loin de l’image qui est donnée ici.

♦ Anne Bergman-Tahon
S’agissant de la conservation au sein de la bibliothèque, je me demande, au cas où l’on s’engagerait dans un système où l’on achète un livre et où l’on en prête une seule copie, de manière consécutive, si les bibliothèques auront les moyens de déployer des dispositifs techniques très onéreux. N’ont-elles pas intérêt à une mutualisation via des plateformes comme PNB ?
Si les modèles doivent être dégagés des discussions entre les parties prenantes, une question me semble rarement posée, ici comme auparavant, celle de savoir qui va garantir que les livres ne sont prêtés qu’une fois ? Qui va investir dans la technologie qui permettra que le livre ne reste pas accessible sur le terminal ? Cela a un coût et je pense qu’un des avantages de ces plateformes est aussi de mutualiser ce coût pour vous permettre, à vous bibliothécaires, de ne pas prendre cela en charge. Or, c’est bien à mettre en place un système pour que chaque utilisateur ne puisse emprunter le livre qu’une fois que vous seriez amenés si la Cour de justice vous donnait raison dans la décision relative aux bibliothèques néerlandaises, ce que je ne souhaite pas.

♦ Vincent Bonnet
On est précisément dans un modèle différent : actuellement ce ne sont pas les bibliothèques qui gèrent les contenus numériques. C’est ce qu’a dit Alain Absire.

♦ Anne Bergman-Tahon
Mais je me demande si vous auriez les moyens de le faire si l’on devait vous donner les fichiers tels quels.

♦ Vincent Bonnet
Je ne pense pas que la demande des bibliothèques soit de récupérer tous les fichiers. J’ai simplement observé que le contrôle sur les fichiers ne leur appartient pas et que l’on ignore ce qui est fait avec les fichiers.

Jean-Sylvestre Bergé
J’ai constaté dans les bibliothèques universitaires qu’un code d’accès est généré par la bibliothèque mais qu’ensuite tout est contrôlé par l’éditeur, qui sait qui fait quoi, qui peut bloquer un accès, etc.

♦ Cécile Deniard
En tant que vice-présidente du Conseil européen des associations de traducteurs littéraires, je me réjouis de la présence d’un représentant d’EBLIDA. S’il peut parfois avoir le sentiment d’être attaqué ou poussé dans ses retranchements, cela répond peut-être aux positions assez extrémistes de cette fédération, que nous avons constatées à diverses reprises depuis deux ans, lors de consultations de la Commission européenne, ainsi que dans ses actions devant les tribunaux et dans son soutien inconditionnel, sans aucune nuance, au rapport Reda alors que toute la filière du livre expliquait que ce qu’elle proposait était dangereux et l’aurait aussi été pour les bibliothèques.
Nous comprenons bien que vous avez à faire face, au quotidien, à la demande de vos lecteurs et que, comme toute la filière du livre, vous êtes obligés de repenser votre activité. Nous sommes tous déstabilisés : qu’est-ce qu’un auteur ? Qu’est-ce qu’un libraire ? Qu’est-ce qu’un éditeur ? Nous nous interrogeons tous.
J’étais malheureuse de voir cette opposition entre d’une part les auteurs, les éditeurs et les libraires, d’autre part une coalition entre bibliothécaires et consommateurs. Je serai donc heureuse que se noue un dialogue plus nourri et plus fructueux.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Vincent Bonnet est toujours là, il n’est pas attaché à sa chaise…

♦ Vincent Bonnet
Je crois qu’en effet nous n’avons pas eu la même lecture du rapport de Julia Reda, que nous avons soutenu dans la version amendée finalement adoptée par la commission JURI du Parlement européen.
L’important, c’est que le dialogue s’instaure mais aussi que nous ayons une représentation qui corresponde à nos besoins ainsi qu’à la demande des lecteurs. Mais cette demande est éminemment liée au rôle des auteurs et à la préservation du marché : nous n’avons jamais souhaité ni sa destruction ni la disparition du droit d’auteur ! Aucun bibliothécaire n’a dit cela, pas plus que cela n’est écrit dans le rapport Reda, en tout cas ce n’est pas ce que nous y avons lu.

♦ Vincent Monadé
Ma remarque s’adresse aussi à Vincent Bonnet. Je m’étonne de vous entendre, comme Séverine Dusollier, parler de « lecteurs » : s’agissant d’un service public, d’établissements publics financés sur fonds publics, le mot « usagers » me semble plus adapté. Sans parler d’EBLIDA, quand j’entends un bibliothécaire affirmer défendre les droits des « consommateurs », je me demande quand s’est produit ce glissement. De même, lorsque l’on dit qu’il va falloir acheter des licences sur fonds publics, pour que la chaîne du livre fonctionne – ma grande différence avec Christian Roblin est que, pour moi, la France n’est pas un système libéral de marché mais un système de marché régulé, qui porte le nom de service public – on nous répond « droit des consommateurs ». Mais, de fait, c’est depuis le début le rôle de la collectivité que de prendre les achats en charge et ce sera sans aucun doute demain son rôle que de prendre en charge l’acquisition de contenus numériques à destination des plus faibles économiquement et des plus éloignés du livre et de la lecture, et de s’assurer ce faisant que l’ensemble du système de production, de droit d’auteur et de vente qui est derrière n’est pas atteint.

♦ Vincent Bonnet
Juste un point : à l’EBLIDA nous faisons attention à parler de « citoyens » et non de « consommateurs ».

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Moi, je trouve que le mot « lecteur » n’est pas connoté du tout…

♦ Nicolas Samaras
Si l’on réfléchit au moyen de verrouiller les fichiers numériques, on ne peut malheureusement pas bloquer la conversion d’un PDF en n’importe quel autre fichier. Il faut donc trouver le moyen pour que, lorsqu’on décide qu’un ouvrage numérique peut être emprunté trente fois, il ne puisse être converti en un autre format et se retrouver partout sur internet, un peu comme les MP3. Cela semble indispensable pour préserver le droit d’auteur et la très juste rétribution des auteurs.

♦ Séverine Dusollier
On retrouve précisément là la question du coût technique qu’a posée Anne Bergman-Tahon. Dans les systèmes de prêt numérique qui se mettent en place, pour l’instant dans un cadre contractuel, la plateforme qui met à disposition le fichier numérique prévoit les mécanismes de sécurisation pour empêcher qu’il soit conservé par l’utilisateur. C’est une question très importante, que je pose également lorsque je plaide pour un système de prêt numérique qui ne soit pas laissé aux seules licences avec les éditeurs.
Ce coût technique devra être mutualisé et cela peut être fait par de grands acteurs comme les éditeurs et, plus difficilement, par les bibliothèques publiques.
Bien évidemment, il est impossible d’affirmer que le système ne pourra jamais être « craqué » et personne ne cherche un système sécurisé à 100 %. Depuis l’apparition du numérique, toutes les industries culturelles ont d’ailleurs dû composer, avec plus ou moins de bonheur, avec le risque que des personnes malhonnêtes dupliquent les fichiers.

♦ Jean-Sylvestre Bergé
Merci à tous nos intervenants. Je remercie à titre personnel la Société des Gens de Lettres de son aimable invitation.

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